Chateaubriand
- Pensées, réflexions et maximes (2)
Les caractères exaltés dans les gens vulgaires sont insupportables : unis à une grande âme ou à un beau génie, ils entraînent tout. Ces caractères ne veulent pas séduire, et ils séduisent ; ils ignorent eux-mêmes leur force, et sont tout étonnés d'avoir fait tant d'heureux ou tant de victimes.
Chateaubriand
- Pensées, réflexions et maximes (1)
La médiocrité est assez souvent secondée par des circonstances qui donnent à ses desseins un air de profondeur. Ces hommes impuissants qui, pour la foule, paraissent diriger la fortune, sont tout simplement conduits par elle, comme ils lui donnent la main, on croit qu'ils la mènent.
Johann Wolfgang von Goethe
- Les Souffrances du jeune Werther
La nature humaine a ses bornes, continuai-je ; elle peut jusqu'à un certain point supporter la joie, la peine, la douleur ; ce point passé, elle succombe. La question n'est donc pas de savoir si un homme est faible ou s'il est fort, mais s'il peut soutenir le poids de ses souffrances, qu'elles soient morales ou physiques ; et je trouve aussi étonnant que l'on nomme lâche le malheureux qui se prive de la vie que si l'on donnait ce nom au malade qui succombe à une fièvre maligne.
Latife Tekin
- Un conte d'ordure
En trois jours, la neige d'usine dessécha les premières fleurs de Montfleur, fit plier les branches des arbres. Les poules courbèrent la tête et se blottirent. Les hommes ne purent plus maintenir la tête droite. Les enfants devinrent tout violets comme s'ils avaient avalé des cachets et certains s'endormirent pendant les jeux. Aucun enfant endormi ne se réveilla.
Anton Tchekhov
- Le gros et le maigre
Deux amis, l'un gros, l'autre maigre, se rencontrèrent à la gare du chemin de fer Nicolas. Le gros venait de dîner à la gare, et ses lèvres, luisantes de beurre, étaient lustrées comme des cerises mûres. Il sentait le xérès et la fleur d'oranger.
Gilbert Sinoué
- Avicenne ou la route d'Ispahan
Mais ce qui me chagrine le plus, c'est que les peuples souffrent d'une double infirmité : l'absence de mémoire et la cécité. Ce qui leur confère l'étrange aptitude de glorifier ceux qu'ils ont haïs la veille, et de haïr le lendemain ceux qu'aujourd'hui encore ils vénèrent.
Anton Tchekhov
- La vieille maison
Une fois, dans cet escalier, des gens ivres descendaient un mort. Ils trébuchèrent et roulèrent en bas avec le cercueil. Les vivants s'étaient fait du mal, mais le défunt, comme si de rien n'était, restait très sérieux et dodelinait de la tête, tandis qu'on le remettait dans la bière.
Patrick Süskind
- Le Parfum
C'est alors que l'enfant s'éveilla. Son réveil débuta par le nez. Son petit bout de nez bougea, se retroussa et renifla. Ce nez aspirait l'air et le rejetait en courtes bouffées qui ressemblaient à des éternuements inachevés. Puis le nez se plissa, et l'enfant ouvrit les yeux.
Noam Chomsky
- La doctrine des bonnes intentions
On avait parfaitement compris, longtemps avant George Orwell, qu'il fallait réprimer la mémoire. Et pas seulement la mémoire, mais aussi la conscience de ce qui se passe sous nos yeux, car, si la population comprend ce qu'on est en train de faire en son nom, il est probable qu'elle ne le permettra pas.
Anton Tchekhov
- Effroi
Ce qui m'effraie surtout, c'est la vie de chaque jour, dont nul de nous ne peut se garder. Je ne suis pas capable de discerner ce qui, dans mes actions, est vérité ou mensonge. Je conçois que les conditions de ma vie et mon éducation m'ont enfermé dans un cercle étroit de mensonge, et que toute ma vie n'est rien que le souci quotidien de me leurrer et de leurrer les autres sans m'en apercevoir ; et je suis effrayé à la pensée que, jusqu'à la mort, je ne m'arracherai pas à ce mensonge...
Anton Tchekhov
- Le moine noir
Un moine, vêtu de noir, le chef blanc et les sourcils noirs, les mains croisées sur la poitrine, passa à côté de lui. Ses pieds nus ne touchaient pas le sol. Ayant franchi quelque espace, il se retourna vers Kôvrine, lui fit un signe de tête et lui sourit d'une façon à la fois amicale et malicieuse.
Choderlos de Laclos
- Les Liaisons dangeureuses (La Marquise de Merteuil)
J'étudiai nos moeurs dans les romans, nos opinions dans les philosophes ; je cherchai même dans les moralistes les plus sévères ce qu'ils exigeaient de nous et je m'assurai ainsi de ce qu'on pouvait faire, de ce qu'on devait penser et de ce qu'il fallait paraître. Une fois fixée sur ces trois objets, le dernier seul présentait quelques difficultés dans son exécution : j'espérai les vaincre et j'en méditai les moyens.
Averroès (1126-1198)
- Brèves et fameuses
Le savoir acquis dans un pays étranger peut être une patrie et l'ignorance peut être un exil vécu dans son propre pays ; l'aveugle se détourne de la fosse où le clairvoyant se laisse tomber.
Nicolas Machiavel
- Le Prince (1515)
Ils ne goûtèrent jamais ces paroles que l'on entend sans cesse sortir de la bouche des sages de nos jours : Jouis du bénéfice du temps ; ils préférèrent celui de la valeur et de la prudence ; car le temps chasse également toute chose devant lui, et il apporte à sa suite le bien comme le mal, le mal comme le bien.
Jean-Paul Sartre
- Les Mouches (Oreste)
Je ne reviendrai pas à ta nature : mille chemins y sont tracés qui conduisent vers toi, mais je ne peux suivre que mon chemin. Car je suis un homme, Jupiter, et chaque homme doit inventer son chemin. La nature a horreur de l'homme, et toi, toi, souverain des dieux, toi aussi tu as les hommes en horreur.
Raymond Devos
- Extraits 2
Je préfère glisser ma peau sous des draps pour le plaisir des sens que de la risquer sous les drapeaux pour le prix de l'essence ; si tu étais plus belle, je me serais déjà lassé. Tandis que là, je ne m'y suis pas encore habitué ; un ministre, ça ne se vend pas ! Ça s'achète parfois ! Mais ça ne se vend pas !
Raymond Devos
- Extraits 1
En général, ceux qui font des généralités sont des cons ; il déteste à tel point les étrangers que, lorsqu'il va dans leur pays, il ne peut plus se supporter ; mon pied droit est jaloux de mon pied gauche. Quand l'un avance, l'autre veut le dépasser. Et moi, comme un imbécile, je marche !
Épicure (~300 av. J.-C.)
- Lettre à Ménécée
Même jeune, on ne doit pas hésiter à philosopher. Ni, même au seuil de la vieillesse, se fatiguer de l'exercice philosophique. Il n'est jamais trop tôt, qui que l'on soit, ni trop tard pour l'assainissement de l'âme. Tel, qui dit que l'heure de philosopher n'est pas venue ou qu'elle est déjà passée, ressemble à qui dirait que pour le bonheur, l'heure n'est pas venue ou qu'elle n'est plus.
Héraclite (~ 500 av. J-C.)
- Fragments
Ils ne comprennent pas comment ce qui lutte avec soi-même peut s'accorder. L'harmonie du monde est par tensions opposées, comme pour la lyre et pour l'arc.
Alfred de Musset
- Nouvelles et Contes (Margot)
La folie est bien loin d'être une pierre ; c'est une bulle de savon qui s'en va dansant devant nous, et se colorant, comme l'arc-en-ciel, de toutes les nuances de la création. Il arrive, il est vrai, que la bulle crève et nous envoie quelques gouttes d'eau dans les yeux ; mais aussitôt il s'en forme une nouvelle, et pour la maintenir en l'air nous n'avons besoin que de respirer.